Courants d’air

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Courants d’air

 

Je me suis laissée impressionner par le spectacle que j’ai vu ce soir.

C’était à La Villette – Grande Halle – Salle Boris Vian.

C’est le travail que j’ai aimé. Voir un travail en cours et tenter de le deviner. Espérer plein de choses. Etre acteur de la soirée.

Les spectateurs sont invités à s’installer sur des chaises numérotées. Celles ci sont positionnées de façon à former un carré et disposées sur les côtés en deux rangées. Chaque angle est un espace ouvert. 60 places exactement. J’en avais compté 64.

On nous donne à l’entrée du plateau un numéro, inscrit sur un ticket, nous indiquant la place où nous devons nous asseoir. Déjà ça, ça me plaisait, nous faire diriger par un schéma décidé à l’avance. Les places du hasard, s’il en est, seraient les connections des chiffres et de l’humaine nature.

C’est pile là que le rêve l’emporte. Est-il des êtres qui jouent de variations avec les chiffres comme d’autres maîtriseraient celui de l’âme humaine ? Que certains s’y essayent, j’en suis sûre. Mais à quelle fin ? Peut-être à celles qu’ils rencontrent. Stoppons tout de suite ce rêve qui pourrait vous embrouiller et faire que vous ne puissiez me suivre, au moins jusqu’au bout de ces quelques pages.

Une envoutante impression d’aimer m’enveloppe depuis ce pré-printemps et j’essaie par tous les moyens, pirouettes et autres joutes qu’elle demeure, en post, néo, tout ce qu’elle veut mais qu’elle reste. Peut-être est-ce le sentiment que les lettres nous renvoient, ce soir, il est bien question de lire. J’ai eu la place numéro 49.

Quelques indications nous sont données. Portable fermé, pas de vibreur. Des scenarii vont nous être donnés à lire. Les répliques soulignées en jaune sont celles que nous devons lire. Les didascalies sont en bleues et ne doivent pas être lues à haute voix.

Puis l’intervenante qui nous accueille appelle des numéros ; les personnes concernées sont invitées à prendre les scenarii qui se trouvent sous leur chaise et elles peuvent commencer la lecture.

Je faisais partie du premier wagon, nous étions cinq ou sept à lire, je n’y ai pas prêté vraiment d’attention.

Durant la lecture, quelques bouts de dialogues nous indiquaient de faire tourner les textes entre tous les participants et à un moment plus avancé dans le spectacle, à retirer d’autres scénarii de dessous certaines chaises.

L’histoire racontée s’inspirait de l’interrogation de ce que nous faisions là, ensemble, à lire ce texte. Avec des envies communes, peut-être, des aspirations communes.

Chacun pouvait s’étonner de la fluidité du texte et des enchaînements qui ne semblaient pas poser de problème.

Je pensais que le public présent avait un point commun ; nous étions volontaire et voulions en passer par la lecture, par la voix. Notre moi, même si je n’en connais qu’une vague intuition était bien en attente ou demande d’un émoi. Pour ma part, j’étais venue pour m’embraser à la moindre occasion et Cupidon ne tarda pas à jaillir d’une phrase, il décocha une nuée de petites flèches, laissant naître quelques foyers que j’entretenais de mes mirettes. À un moment, je sentis une partie des lecteurs s’emballer dans la lecture. C’est que l’interprétation avait pris le pas. Pourtant une réplique nous avait bien averti qu’il était préférable de ne pas interpréter mais de lire. Il en eut fallu peut-être deux, de répliques.

Je me rappelle à l’instant que l’autrice qui a échangé avec nous à la fin du spectacle – car s’en était un et à multiple facettes-, nous a dit qu’au cœur de sa création, les notions de liberté et de démocratie ne l’intéressaient pas vraiment et même je crois qu’elle affichait un net rejet pour ces concepts, ces régimes et ses organes.

(En disant ce mot je pense au directeur artistique du théâtre de la Tempête. Il n’est pas rare qu’en le croisant je ne l’ai entendu prononcé ce mot. Organique. C’est organique. Cela m’a tellement interrogé. Que pouvait bien être un organe et cet –ique ?) Alors si je prends la liberté de présupposer que l’organe est un pendant de la démocratie et qu’en démocratie nous avons la possibilité de nous exprimer, un courant me pousse vers cet organe quand celui ci me repousse et ne me laisse pas pénétrer les limbes d’une matière intellectuelle dans lesquels certains sièges sont visés au bois du bateau. Je me plais à penser alors que les organes différencient selon leur zone géographique ou l’environnement et qu’il reste encore à bouger de place via la liberté et à faire place. Place, place ! Mais si j’étais ruelle. Vous imaginez une petite ruelle au milieu d’une grande place, et tous à regarder, et lui dire, pffft, pfffft.

– Allez je vous crois, dirait la petite, et pour cette fois-ci, je vous montre encore mon popotin.

Heureusement qu’il y a des forêts, heureusement qu’il y a des forêts. Quand un courant me pousse et que les mouvements battent la mesure à tout va, ma nature ne cède pas et j’essuie les torniones et des tourniquets à tour de bras. Alors la forêt salvatrice, même dénuée de ses feuillages, même avec ses troncs si désuets, me permet de lever la voix, de reprendre souffle et que mes mots se perdent, de troncs en troncs, de notions en poèmes, me permettent d’inspirer et de rétablir une vérité dans un temps arrêté, juste le temps de souffler et de reprendre l’air. Je suis dans un bateau qui n’est pas votre train. Comment je suis arrivée là, je ne sais pas. J’ai peut-être triché à un moment donné, mais à quel moment, dans quoi, de qui, ou ça, vers quoi ? Les pales du bateau me font un peu peur, leur bruit assourdissant réverbère mon cœur, je vous assure. Mais nous arrêterons là. J’entends le bateau d’une main d’homme stopper les moteurs. Pas d’iceberg à l’horizon. Non. Juste un temps de pause. Le temps est clément. Madame nature et monsieur Neptune invitent le paysage à nous saisir. Comme s’ils savaient que dans leurs cales, viennent des anges. Quand on est bien quelque part, en somme, le temps est en passe de moments indolents. Un sourire s’immisce, ma réflexion le pousse.

J’ai trouvé quelque chose d’agréable quand Ivana Müller s’est exprimée sur ce sujet- ne pas adhérer à certaines notions. J’ai aimé que chacun puisse s’exprimer, même ceux qui, s’ils avaient dû prendre la parole par eux même, ne l’auraient pas fait. Par hésitation, par peur, ou pour d’autres choses que je ne peux pas encore définir et qui mettent mal à l’aise, qui vous rabaissent de ne pouvoir participer, qui vous laissent dans le sentiment désagréable de ne pouvoir s’en vouloir qu’à soi-même. Le droit de parole nous est donné sans réussir à le saisir.

Maintenant, je pense aussi à cette façon, qu’elle a voulu de mettre les spectateurs en position de former un carré avec des passages à chaque angle. Je n’aime pas les ronds a-t-elle dit, je crois que cela l’oppressait. Effectivement, j’ai cette même impression quand je me retrouve à de très rares tables rondes, le ressenti désagréable d’être dans un cercle privé dans lequel je me trouve par accident ou pire.

Le théâtre peut nous faire chambouler.

Nous pouvons l’éprouver.

Nombre de ces phénomènes sont-ils développés dans des essais afin d’analyser ou de retracer les réalités et les ressentis des actants dans l’ensemble du champ théâtral ? De charmants livres que nous aurons lus, pour certains, sans vraiment les comprendre, mais qui laisseront une impression de compréhension et de bienveillance. Ce dernier est un bien grand mot, je vais préférer l’équilibre. Là où l’on passe du chaud au froid, de la certitude au doute.

Ce carré ouvert m’a beaucoup inspiré.

 

Dans le cadre de L’esprit de groupe/La Villette

En réaction à l’annulation de l’atelier du lendemain.

Suite au spectacle We are still watching d’Ivana Müller.

 

 

Marie-France Saint-Dizier

Mercredi 25 mars 2015

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